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Mon beau père ce héros
19 décembre 2006

Capitaine tempête

IL VOULAIT être commandant dans la marine, comme son père. Sillonner les mers puis revenir dans la petite île bretonne où il est né, pour y couler des jours tranquilles. Si la formule de Vigny est vraie : « Une vie réussie est un rêve d'adolescent réalisé à l'âge adulte », nul doute qu'elle s'applique à Jean Bulot, 65 ans, habitant l'île d'Arz en Bretagne, et marin devant l'Éternel. Grand, les épaules larges, une gueule d'acteur américain des années 1960, où se détache un regard bleu, Jean Bulot n'est pas du genre extraverti. Il laisse cela à ceux qui n'ont rien d'autre à narrer qu'eux-mêmes, à perte de temps, à perte de vue. Lui a vu du pays, rencontré des hommes et des femmes de toutes les contrées, en a sauvé quelques-uns. Après avoir été officier dans la marine marchande, Jean Bulot pilotera, vingt ans durant, les fameuses « abeilles », ces petits navires chargés de remorquer vers les côtes de France et de Navarre les bateaux en difficulté. Ce sont ces périples à hauts risques, mêlés de souvenirs plus intimes, qu'il raconte dans Capitaine Tempête. Jean Bulot est né d'une longue lignée de matelots dans une maisonnette au bord de l'eau, entre ciel et marée, sur l'île d'Arz, au large de Vannes, dans le golfe du Morbihan. Arz, ours en breton, est un très joli coin de terre où les couleurs du ciel changent sans cesse, au gré des vents. Enfant, Jean Bulot y fut heureux, comme un roi dans son domaine. « Pour nous, c'était la guerre des boutons tous les jours », explique celui qui habite aujourd'hui une maison à deux pas de celle où il est né. Après avoir continué sa scolarité à Vannes, chez les jésuites, comme son ami Olivier de Kersauson, il s'embarque à 15 ans en tant que pilotin, puis devient matelot sur les cargos de la marine marchande. Là, il apprend son métier : obéir, travailler, encaisser. Vivre loin des siens, loin de tout, entouré d'hommes parfois frustes. La vie à bord d'un cargo, c'est aussi les virées avec les copains, les aventures d'un soir, toute une mythologie aujourd'hui surannée, mais qui a eu son heure. La trentaine venue, il rencontre la femme de sa vie qui lui donne une fille et deux garçons, dont un poursuit la tradition familiale dans la marine marchande. « Entre deux embarquements j'ai épousé une créole née à Cotonou, professeur d'histoire et de géographie qui, au cours des trente années à venir, aura l'occasion de connaître par coeur son Atlas illustré, en y suivant les périples de son marin de mari », raconte Jean Bulot. Il remorque Kersauson Dans les années 1970, Jean Bulot vire de bord. Il devient capitaine sur les navires chargés de remorquer des plates-formes pétrolières en mer du Nord avant de devenir un as du secours en haute mer. « En lisant Remorques de Roger Vercel, j'ai été frappé par cette confrontation des hommes avec les éléments, où tout tient à un fil », dit Jean Bulot qui cite aussi Typhon de Joseph Conrad. « Pour secourir efficacement un navire en péril, il est non seulement indispensable de disposer d'un matériel performant, mais également et surtout d'un personnel rompu aux opérations dangereuses dans les pires conditions de mer », explique Capitaine Tempête, en racontant quelques-unes des nombreuses opérations menées à bord de l'abeille Flandres. Celle du Tanio, pétrolier qui se scindera en deux, au large des côtes bretonnes, un an seulement après le naufrage de l'Amoco Cadiz. Celle du remorquage du trimaran d'Olivier de Kersauson en 1986, qui risquait de se fracasser au large d'Ouessant. Jean Bulot se consacre aujourd'hui à son île. Dans un livre érudit qui s'est taillé un beau succès, L'Île des capitaines, il a raconté l'histoire de ce microcosme complexe, profondément catholique et républicain. Les chouans y firent en vain des incursions durant la Révolution. Il s'occupe aussi d'un vieux moulin restauré pour lequel il s'est fait maçon. Le reste du temps, il le passe à écrire, jardiner et, bien sûr, épier le rivage. « Je suis tourmenté par le vent de la mer », laisse échapper cet avare en paroles en regardant le ciel bleu devenir, en quelques minutes, sombre, venteux, menaçant. « Le vent, le large, l'île de son enfance, quoi de mieux ? » Homme libre, toujours tu chériras la mer... (Texte issu du Figaro Littéraire)20061207
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